Goethe versus Wagner. Le changement de fonction de l’art dans Choses humaines, trop humaines

Sandro Barbera

Traduction : Marie-France Merg

1. En été 1879, Nietzsche commente ainsi son passage de la « métaphysique d’artiste » à la nouvelle phase de Choses humaines, trop humaines :

2. Lorsque je vis l’insécurité de l’horizon moderne de la culture, j’éprouvai un sentiment de peur. Je fis les éloges, tout en ayant un peu honte, des cultures placées sous la protection d’une cloche de verre. Je me repentis enfin et je me jetai à la mer. (NF-1879,40[9])

3. Le malaise, voire la peur sont des sentiments qui saisissent celui qui affronte la pleine mer de la modernité après avoir laissé de côté les garanties grâce auxquelles, dans la perspective de la métaphysique d’artiste, et dans lesquelles le génie fonde et sauvegarde la communauté, en l’arrimant à la solidité du mythe – garanties qui correspondent à une perception de la modernité comme pluralité de forces engendrant un risque de désagrégation.

4. Le thème revient d’une manière insistante dans Choses humaines, trop humaines : non seulement le devenir ronge les fondements de l’être que les catégories métaphysiques tentent en vain de sauvegarder; non seulement il accroît la multiplicité, voire le conflit des formes de vie, mais une telle multiplicité est encore le reflet de la présence simultanée de temps historiques différents, de sorte que les temps passés survivent comme des résidus aux côtés du temps présent. Cela détermine un type de société non-organique, fondée sur une pluralité qui exige une forme qui lui soit adaptée.

1. Du « génie de l’espèce » de la métaphysique d’artiste au génie contemplatif

5. A l’époque où Nietzsche était occupé à élaborer sa métaphysique d’artiste, Jacob Burckhardt, dans ses cours bâlois sur les crises historiques, et alors qu’en privé il ne perdait pas une occasion de se plaindre de la misère des temps présents et de « l’uniformité croissante de notre civilisation[1] », avait su voir, justement dans le malaise de la diversité et de la mobilité imposées à l’histoire européenne par la Révolution française, un signe de la supériorité des Modernes sur les Anciens, un enrichissement et l’occasion d’un accroissement du savoir :

6. D’ailleurs, un grand avantage est tout de suite évident : il s’agit de la conscience, de la connaissance du contraste entre le nouveau et l’ancien. [...] Tout ce fatras doit être pour nous non pas un désordre, mais plutôt un patrimoine spirituel ; nous devons y trouver non pas une affliction, mais un trésor[2].

7. Dans Choses humaines, trop humaines, Nietzsche s’accordera aussi avec Burckhardt pour affirmer la suprématie de la connaissance entendue comme dépassement non artistique du pessimisme. Cependant ce n’était certainement pas là la forme de civilisation souhaitée par la métaphysique d’artiste. Au moment de la rédaction de La naissance de la tragédie et des écrits datant de la même époque, Nietzsche envisage une forme de civilisation organique fondée sur le mythe. Il s’agit d’une société dévouée au génie qui, par compassion à l’égard des souffrances de ses membres, déploie sur eux un réseau d’illusions (Nietzsche parle de « Täuschungen » et de « Wahnvorstellungen ») qui ont une fonction consolatrice et rédemptrice. Comparées aux personnages du drame musical qui se déplacent sur la scène comme s’ils étaient engendrés par le cœur même de l’orchestre, les « illusions » ne sont absolument pas autre chose que les images suscitées par la force créatrice de mythes du génie artistique. En faisant cela, il répète chaque fois le geste métaphysique du fond vital, de l’« Un originaire [das Ur-Eine] », qui se « soulage », en images libératrices, de l’insupportable tension des forces de douleur et de plaisir qu’il renferme et qui sont en conflit en lui.

8. Le génie artistique se comporte comme le « génie de l’espèce » schopenhauerien (et wagnérien), c’est-à-dire non pas comme le génie contemplatif du livre III du Monde comme Volonté et comme Représentation, mais comme le génie machiavélique de la nature, qui dans La métaphysique de l’amour sexuel trompe les individus avec les belles images et les illusions de l’éros pour les pousser à perpétuer l’espèce et à garder tel quel l’infernal mécanisme du monde dans son éternelle répétition. Comme on a pu le faire remarquer à juste titre, avec la théorie du mythe-illusion, Nietzsche introduit une paradoxale « négation gnoséologique du concept de mythe qui en souligne en même temps la nécessité[3] ». Le paradoxe mis en lumière par Nietzsche lui-même quand il fait reposer toute sa construction sur un « vacuum métaphysique », se résout en réalité dans le fait que le projet de la métaphysique d’artiste s’inscrit dans l’horizon du « mythe technicisé », c’est-à-dire de ces constructions artificielles du mythe qui, au dix-neuvième et au vingtième siècles, accompagnent les tentatives de réformer la société dans le sens d’une totalité « organique ».

9. Toutefois, la notion de « culture » que nous trouvons dans Choses humaines, trop humaines, comme forme adaptée à une pluralité, a une longue histoire derrière elle et c’est tout un courant de pensée, que l’idée dominante de la métaphysique d’artiste ne réduit pas au silence, qui se retrouve en elle. Une de ses principales expressions se trouve dans la première Considération inactuelle, où la culture est définie comme « l’unité du style artistique dans toutes les manifestations vitales d’un peuple ». Malgré la suprématie de la sphère esthétique, qui relie encore la définition à la métaphysique d’artiste, Nietzsche pense l’unité de style comme une « harmonie » qui implique la variété et qui est aux antipodes du « tutti unisono » du philistin qui veut imposer son « empreinte uniforme ». Le philistin recherche la reproduction stérile et toujours égale d’un « moi » incapable d’assimilation et qui – selon un mécanisme semblant préfigurer celui du ressentiment – cultive même une attitude purement polémique :

10. C’est justement à une telle empreinte qu’il reconnaît cette « civilisation allemande » dont il a acquis le brevet. La non-conformité à ce modèle signale au contraire ce qui lui est hostile et lui résiste. Dans ce cas, le philistin de la culture ne fait que se défendre, il nie, dissimule, devient sectaire, se bouche les oreilles, détourne les yeux, il est un être négatif jusque dans sa haine et son hostilité. (DS-2)

11. Nietzsche a reconnu dans Schopenhauer éducateur l’ouvrage dans lequel il s’est le plus éloigné de la métaphysique d’artiste, se rapprochant au contraire de la perspective de l’esprit libre, en affirmant sa préférence pour un type de connaissance affranchie de la pression de la volonté (NF-1878,27[80]). Comme j’ai essayé de le montrer ailleurs[4], la troisième Considération inactuelle est traversée par l’intention d’abandonner la figure du « génie de l’espèce » qui se trouve au cœur de la métaphysique d’artiste et de la réforme de la culture, pour valoriser plutôt un caractère génial contemplatif et purement cognitif. L’attention de Nietzsche se déplace du Schopenhauer du Monde comme Volonté et comme Représentation au Schopenhauer de jeunesse (qu’il connaissait indirectement par Rudolf Haym et directement par le Nachlaß du philosophe, partiellement publié par ses disciples Frauenstädt et Lindner) : c’est-à-dire au Schopenhauer qui n’a pas encore élaboré sa métaphysique de la volonté mais qui s’en tient au dualisme inconciliable entre la « conscience empirique », qui évolue dans le monde du devenir et des apparences, et une « conscience meilleure », qui donne accès à une forme de vie alternative fondée sur une négation absolue du monde. Il s’agit d’un moment particulier de la réflexion de Nietzsche, dont l’intensité presque mystique n’a pas encore été étudiée comme il le faudrait (si on laisse de côté quelques intuitions de Giorgio Colli). Mais la tonalité de Schopenhauer éducateur permet aussi d’expliquer le sentiment de proximité que Nietzsche éprouvait à l’égard de l’opuscule contre la théologie libérale écrit par son ami Overbeck, pour qui, comme pour Schopenhauer, « le refus du monde est le caractère indélébile du christianisme »[5].

12. Dans la troisième Considération inactuelle, le passage de l’élan réformateur de la métaphysique d’artiste et de sa notion de culture comme « physis renouvelée », au calme contemplatif, est stylisé dans la figure de Faust, qui abandonne son caractère initial de « reflet le plus haut et le plus hardi de l’homme de Rousseau », rebelle et libérateur, pour assumer une attitude de contemplateur du monde :

13. Ici l’homme de Goethe se détache de l’homme de Rousseau ; car il hait toute violence, tout écart brusque – c’est-à-dire aussi : toute action ; et c’est ainsi que Faust, le libérateur du monde ne devient guère plus qu’un voyageur du monde. Tous les domaines de la vie et de la nature, tous les passés, les arts, les mythologies, toutes les sciences voient cet insatiable contemplateur les survoler [...]. (SE-4)

14. – un contemplateur qui préfigure ainsi le statut de « Reisender » et de « Wanderer » qui caractérisera en propre le style de vie de l’esprit libre.

2. Du génie libérateur révolutionnaire au génie antitragique et conservateur

15. Il manque encore quelques traits essentiels pour compléter l’image de Goethe que Nietzsche esquisse dans ses fragments posthumes, surtout ceux de fin 1876-été 1877, et dans Choses humaines, trop humaines ; il manque en particulier l’illustration du caractère antitragique de son art et de sa conventionalité absolue. Comme le montrent les notes livrées dans les fragments posthumes, l’attribution définitive de ces deux caractéristiques est le fruit d’une élaboration lente et qui est loin d’être linéaire. Cependant, il est hors de doute que le Goethe contemplatif de Schopenhauer éducateur est l’héritier légitime du Goethe idyllique et épique, plutôt que tragique, auquel, à l’époque de La naissance de la tragédie (et probablement, comme on le verra, sous l’influence directe de Opéra et Drame de Wagner et en conflit avec lui) Nietzsche avait prêté fortement attention – ce qui montre qu’il s’appuyait sur les Conversations avec Goethe d’Eckermann et sur la discussion à propos de Hermann und Dorothea dans la correspondance de Goethe et de Schiller.

16. Nietzsche semble particulièrement faire sienne l’idée – présente dans cette correspondance – selon laquelle le genre épique paraît s’adapter, pour reprendre les mots utilisés par Schiller dans la lettre du 21 avril 1797, à la « tranquille existence des choses et à leur action naturelle », qui n’est pas déformée par la tension de l’action dramatique. De cette façon, poursuivait Schiller, le public n’est pas invité à participer à la fièvre de l’action, mais il s’en détache dans un état d’observation paisible. C’est pourquoi, alors que le poète dramatique nous « prive de notre liberté », le poète épique la garantit avec la forme même de sa représentation[6]. Ainsi, toujours selon Schiller, le genre épique agit presque naturellement dans la sphère de l’esprit, comme cela arrive pour le roman et notamment pour Wilhelm Meister, qui est plutôt prosaïque que poétique[7]. Dans la correspondance, « prose » et « intellectuel » forment effectivement un hendiadyin constant, mais c’est dans les Conversations d’Eckermann, un de ses livres préférés (NF-1879,42[45]), que Nietzsche a pu trouver une déclaration surprenante dans laquelle sont liés les différents aspects ou les corollaires que Choses humaines, trop humaines associe au thème du changement de fonction de l’art. Hermann und Dorothea que Goethe, dans la lettre à Schiller du 12 août 1797, donnait comme exemple d’une affinité substantielle entre les « sujets modernes » et le genre épique[8], était comparé à présent au roman chinois. Dans celui-ci, remarquait Goethe, selon le compte rendu d’Eckermann du 31 janvier 1827 :

17. [...] tout est accessible à l’esprit bourgeois, sans grande passion ni élan poétique, c’est pourquoi il ressemble beaucoup à mon Hermann und Dorothea et aux romans anglais de Richardson. [...] Mais c’est vraiment grâce à ce sens rigoureux de la mesure [Mässigung] en tout que l’empire chinois a pu se conserver pendant des siècles et qu’il continuera à le faire[9].

18. C’est justement sur la base de son caractère contemplatif, intellectuel, prosaïque, adapté enfin à la complexité des « sujets modernes », que Schiller voyait dans le poème épique la possibilité de reproduire « la totalité constante, et qui perdure paisiblement » de l’humanité, alors que la tragédie doit se limiter aux aspects pathologiques ou aux « moments particuliers extraordinaires »[10]. Cela semble être le point de départ de Nietzsche dans la relativisation progressive de la supériorité de la tragédie – relativisation dont nous pouvons suivre les étapes dans les fragments posthumes de cette période. Le point d’arrivée de ce trajet est la valorisation du caractère antitragique de l’art et de la personnalité de Goethe. En refusant Kleist, Goethe se détourne du tragique, dans lequel il perçoit « le côté incurable de la nature » : « Lui-même était conciliant et guérissable. Le tragique a affaire aux souffrances incurables, la comédie aux souffrances guérissables » (NF-1878,29[1]). Observant que tragédie et comédie ne donnent pas une représentation fidèle [Abbild] de la vie, un fragment suivant et de la même période confirme la « nature conciliante » de Goethe (« Goethe contre le tragique – pourquoi le rechercher? – Nature conciliante » ; NF-1878,29[15]) et formule une objection contre le caractère simplificateur/déformant de la tragédie, qu’en termes très semblables, Nietzsche adressait à Wagner dans les notes préparatoires à Richard Wagner à Bayreuth[11].

19. Le repos et la fonction lénitive garantis par l’art dramatique, puisque celui-ci est une abréviation « du calcul infiniment compliqué de la vie réelle », rend le retour à l’existence et à ses luttes difficile et pénible. Dans l’art de Wagner, les problèmes sont concentrés en une simplification insoutenable, et on retrouve le caractère « simplificateur » de Wagner dans son portrait en anti-Alexandre qui essaie de rassembler en un tout la dispersion du moderne, dans la fonction « astringente » que Nietzsche lui reconnaît.

20. La critique, qui est surtout intéressante parce que Nietzsche commence ici à dissocier les fonctions de l’art de celles d’une réforme de la culture, et à démontrer que l’art est incapable de retranscrire les raisons complexes de la modernité, reprend en réalité les arguments du chapitre d’Opéra et Drame consacré au drame et au roman, pour en renverser le sens. En fait, Wagner aussi attribuait à Goethe une nature « conciliante », et c’est même justement la conciliation avec la réalité désagrégée et divisée d’une société corrompue par le luxe qui pousse Goethe à préférer le roman, comme genre littéraire exprimant les conditions de la civilisation aliénée[12], et à abandonner le rôle de poète dramatique qu’il assumait dans sa jeunesse. Pour Wagner, l’excellence métaphysique de la forme dramatique par rapport à la forme épique repose justement sur son inactualité, sur le refus de toute réconciliation avec la modernité. La possibilité se révèle ainsi à lui – même utopique et « idéale », comme dans la grandiose tentative schillérienne de retourner au drame ancien – de reproduire sous une forme condensée et unitaire la vraie nature humaine, qu’il voit défigurée et pulvérisée par l’alexandrinisme moderne.

21. L’hypothèse que Nietzsche formule aussi durant cette période, d’un art du futur, c’est-à-dire en accord avec la modernité, est aussitôt annulée par la constatation du caractère essentiellement rétrospectif de l’art, qui est une activité dominée par le sentiment de la piété : « Je pourrais également m’imaginer un art qui regarde en avant, qui cherche ses images dans l’avenir. Pourquoi n’existe-t-il rien de tel ? L’art est lié à la piété » (NF-1875,10[13]). Dans une série de réflexions (printemps-été 1875), Nietzsche parle du caractère « dangereux » de l’art, lié au fait qu’il est « gardien et galvaniseur d’idées mourantes et mortes » ; il nous ramène en arrière à des sentiments désormais disparus et ne respecte pas l’avertissement : « laissez les morts ensevelir leurs morts » (NF-1875,10[13]). L’image des poètes-épigones, « êtres tournés vers le passé, en sorte qu’ils puissent servir de ponts avec des époques et des idées très lointaines », renforce le caractère « palliatif » de l’art, mais de façon nettement négative, comme une fonction qui détourne l’homme du travail visant à l’amélioration du présent.

22. C’est seulement lorsque Nietzsche thématise la fonction de conservation de l’art – qui jette un pont entre le passé et le présent (NF-1877,24[1]) – que l’on peut dire que tous les éléments conceptuels sur lesquels reposent les aphorismes 145-156 de Choses humaines, trop humaines sont acquis. Ici, l’art est considéré (et souvent avec des références à la littérature ethnologique, associée à la spéculation romantique sur le langage originel que Wagner avait revitalisée) comme un résidu d’époques révolues. La fonction créatrice de mythes du génie, qui est au centre de la métaphysique d’artiste et que Nietzsche, dans Richard Wagner à Bayreuth, définit encore comme une capacité de penser par analogie et par images, est perçue maintenant comme la survivance d’un langage archaïque, magico-religieux : survivance précieuse toutefois, justement à cause de cela, puisqu’elle nous donne la clé pour déchiffrer les époques disparues. La « justice » et la piété envers ce qui a disparu sont donc exercées également à l’égard de l’art et de la métaphysique d’artiste, dont Choses humaines, trop humaines déconstruit la conception fondamentale, avec la critique de la « superstition du génie ». La métaphysique d’artiste est analysée comme le projet utopique de rétablir ce langage archaïque, irrémédiablement perdu, et d’en faire le principe d’une réforme de l’existence. L’analyse de la « superstition du génie » doit être appréhendée avant tout sous l’angle d’une autocritique : ce n’est donc pas tellement une polémique dirigée contre Wagner et Schopenhauer (bien que le tissu de citations explicites et d’allusions implicites soit évident), mais plutôt contre la synthèse vertigineuse que Nietzsche lui-même en avait faite.

23. Le Wagner qui, dans la période de La naissance de la tragédie, apparaît comme le législateur qui donne consistance et forme à une société désagrégée, apparaît à présent sous les traits d’un génie essentiellement polémique, en lutte contre ses contemporains, et surtout contre l’interprétation scientifique du monde, pour réaffirmer la suprématie de l’art. Cependant, dans Le voyageur et son ombre, l’analyse de l’art comme survivance d’époques anciennes s’intègre à une véritable sociologie de l’art, où la fonction régressive de la métaphysique d’artiste est perçue comme un effet de la modernité.

24. Le point de départ est l’expérience de Bayreuth : « C’est au déclin du dernier art que nous assistons. Bayreuth m’en a convaincu » peut-on lire dans une annotation de l’été 1878 (NF-1878,30[139]), alors que dans l’aphorisme 170 du Voyageur et son ombre, intitulé L’art au siècle du travail (WS-170), le « grand art » du drame musical est interprété dans l’optique d’un changement radical de la fonction de l’art dans la vie humaine. Au « siècle du travail », l’art n’a plus de rapport avec le sérieux de l’homme actif, mais avec son temps libre. Il ne peut plus compter sur la « conscience des gens travailleurs et capables », mais sur ceux qui sont privés de conscience et sur les indolents. La transformation structurelle du public et des formes de réception de l’art est identifiée comme la principale cause de quelques tonalités expressives typiques du drame musical, comme la « surexcitation d’insomnie » ou « une aliénation d’extase et d’effroi ».

25. Dans ce cas, comme dans celui des annotations posthumes qui assimilent l’art de Wagner à l’expression d’une synthèse toute moderne entre « la grossièreté et la plus délicate faiblesse », l’instinct retourné à l’état sauvage et la surexcitation nerveuse, le « besoin maladif d’émotion par lassitude et plaisir de cette lassitude » (NF-1878,27[32]), la continuité avec la phénoménologie de la modernité et de la névrose métropolitaine dans Le Cas Wagner est évidente. Les conditions que Nietzsche considérait, durant la période de La naissance de la tragédie, comme constitutives du drame musical ou de la tragédie athénienne, sont considérées à présent comme des réactions aux processus de la modernité. En définitive, un archaïsme engendré par l’actualité elle-même, et qui est à son service. Dans un fragment extraordinaire de juin-juillet 1879, qui semble pourtant ne pas avoir eu d’autres développements littéraires, Nietzsche voit dans la machine l’un des facteurs d’une organisation despotique du temps de travail, dont l’ouvrier est esclave, mais il remarque qu’elle n’a pas comme conséquence une autodiscipline [Selbstbeherrschung] de la volonté dans son ensemble, mais qu’elle partage au contraire l’existence humaine en deux moitiés : la première est caractérisée par la soumission aveugle au nouveau pouvoir, l’autre « éveille des appétits par réaction contre le despotisme », de sorte que c’est la machine elle-même qui évoque dérèglement et ivresse et qui « provoque des Saturnales » (NF-1879,40[4]).

3. De l’éloge de la culture comme physis à celui de la convention

26. La voie que Nietzsche avait choisie auparavant, à savoir celle d’utiliser le drame musical comme héritier légitime de la tragédie antique pour façonner la modernité sur le modèle du monde grec, s’effondre de l’intérieur et l’éboulement entraîne, molécule par molécule – même si cela n’a pas lieu simultanément – toutes les composantes de la métaphysique d’artiste. L’équation hellénité et germanisme disparaît en premier lieu, équation que Nietzsche avait exprimée d’une manière très forte dans la lettre du 24 mai 1875 pour l’anniversaire de Wagner avec la citation du Gesang des Deutschen de Hölderlin, une « prophétie » sur l’Allemagne[13].

27. Durant l’hiver 1872-73, Nietzsche conçoit encore la civilisation grecque comme une « formation naturelle » antithétique de la « convention » romaine (NF-1872,24[11]) et voit en Goethe le génie de la culture comme physis, qui, grâce au jeu de la forme, harmonise et produit une « multiplicité énorme » ; cependant, dans le groupe de fragments mentionné ci-dessus, le thème de l’art-épigone et de l’art-régression est étroitement lié à celui de la mort (et de l’impossible résurrection) de la culture antique, de telle sorte qu’il n’est plus possible de récapituler ni de promouvoir un développement « naturel » de la civilisation par l’intermédiaire de l’art.

28. Nietzsche remplace le Goethe génie de la culture comme physis, par le Goethe figure du poète-philologue – avec Leopardi. L’expression avait été utilisée par Burckhardt dans la Kultur der Renaissance pour indiquer, chez les humanistes, l’association entre savoir historique et inspiration poétique, ainsi que leur fonction de guide dans le domaine de la culture et même de la politique. Chez Nietzsche, cette expression fait évidemment allusion à un processus d’intellectualisation de l’art que le philosophe avait thématisé en proposant à nouveau la comparaison entre genre épique et genre dramatique ; il s’agit là d’un indice ultérieur tant de la transformation de son univers conceptuel, que du parcours qui est loin d’être linéaire d’une telle transformation.

29. Dans les notes préparatoires à Nous autres philologues, au printemps 1875, la figure du poète-philologue est encore considérée comme le symptôme d’une méconnaissance essentielle ou comme une falsification de l’hellénité, dont il faut reconstruire historiquement l’héritage, pour pouvoir remonter, étape par étape, à la réalité originelle (NF-1875,3[15]), que l’on ne peut donc plus atteindre par la seule voie privilégiée de l’art. De toute façon, on trouve dans la figure du poète-philologue un « élément actif, percutant » – un élément qui corrige le « philologue objectivement châtré », et Wagner lui-même, comme le montre l’influence de l’Orestie dans sa production artistique, correspond à un degré supérieur dans le développement de Goethe « comme poète-philologue allemand » (NF-1875,5[109]) . C’est alors que s’intensifient les observations sur la mort de la culture antique et sur le caractère régressif de l’art, et la falsification du monde grec commencée avec l’hellénisme devient – une fois mise définitivement de côté l’analogie Grèce-Allemagne, la seule façon réellement productive de se l’approprier. La tradition n’est plus pour Nietzsche une répétition de l’originel qui se révèle dans l’art, mais un processus de falsification, de transfert et de diffusion à travers une dialectique d’assimilation et de détachement, fondée sur la reconnaissance d’une altérité substantielle. À présent, le rapport de Goethe avec le monde grec retombe aussi dans la catégorie de la rivalité et de l’émulation, animées par un détachement conscient et par un esprit de rivalité productif et polémique (NF-1875,5[167]).

30. A l’automne 1877, enfin, Nietzsche parle d’une nouvelle perspective sur l’Antiquité sous l’égide de Goethe : « Alors je commençai à discerner clairement l’antiquité, et l’intelligence goethéenne du grand art » (NF-1878,27[49]), et effectivement, en suivant le fil conducteur du Goethe antitragique, Nietzsche commence une révision complète de l’image de la Grèce, qui trouvera son expression définitive dans les aphorismes 169 (VM-169) et 170 (VM-170) des Opinions et sentences mêlées. Alors que les Grecs sont portés vers l’art par « le débordement de leur propre bien-être, de leur santé » et non, comme les modernes, par le « dégoût » d’eux-mêmes, de sorte que pour eux l’art naît d’un luxe d’énergie vitale et constitue un embellissement de la vie, Goethe y est porté par son « bien-être et son bien-vouloir [Wohl-sein und Wohl-wollen] » et l’activité artistique est, chez lui, l’expression d’une nature riche et harmonieuse, loin de toute tragédie. La citation de Goethe que Nietzsche transcrit durant l’été 1878 appartient certainement à ce thème conducteur :

31. Goethe : « Le beau, c’est quand nous avons la vision de l’être vivant en conformité avec les lois de la vie au plus haut de son activité et de sa perfection, et que nous nous sentons par là incités à produire à notre tour, également pleins de vie et portés au sommet de notre activité » (NF-1878,30[5]).

32. La plénitude vitale de Goethe, qui détermine son affinité avec les Grecs et fait de lui une exception dans la décadence moderne, s’exprime aussi avec les termes de la « mesure [Mässigung] » et de la « sobriété », cette sobriété que Nietzsche indique comme une vertu qui manque à la jeunesse allemande, vouée au culte de l’excès, de la passion et de l’extase (NF-1878,27[51]). À partir de 1877, la participation de Goethe à une santé antique opposée à la maladie moderne, dérive clairement d’une exhumation des binômes sain-classique et romantique-malade que Goethe lui-même avait utilisés pour définir sa position par rapport aux romantiques, et suscite les premières réflexions de Nietzsche sur le caractère « romantique » de Wagner.

33. La révision à laquelle Nietzsche soumet l’image de la Grèce implique de nombreux thèmes mais elle est fondée, en substance, sur une révision radicale de la suprématie de la tragédie. Durant l’été 1875, Nietzsche commence une série de réflexions qui font apparaître de toute évidence des tendances contradictoires. D’un côté, il y a le souhait que la Grèce décorative, « romanisée » et affaiblie par le christianisme, puisse être remplacée par une image authentique de la Grèce, fondée sur une combinaison : « Schopenhauer, Wagner et la première hellénité » (NF-1875,6[14]), qui puisse servir de base à une nouvelle culture ; de l’autre, Nietzsche se rapporte à l’hellénité de Goethe comme « σωφροσύνη grecque dans l’art transposée sur l’homme moral » et accompagnée d’un rappel insistant à Socrate, auquel Nietzsche, malgré son jugement polémique, se déclare lié par une affinité secrète[14]. Quand il affirme que « la tragédie n’est pas la forme la plus élevée que l’on puisse penser », Nietzsche en relativise la place en la mettant en relation avec la tyrannie. Sans Pisistrate, les Athéniens n’auraient pas eu de tragédie et si l’on considère l’opposition de Solon à ce genre poétique – qui naît de la pratique des lamentations d’affliction auxquelles il était hostile au nom de la volonté de « mesure » qui doit dominer la vie publique – il faut s’interroger sur la fonction politique de la tragédie, liée au contraire aux desseins du tyran[15].

34. L’hypothèse d’une intention politique cachée dans l’expression du deuil, fait partie d’une analyse de l’« instinct tyrannique » qui est présent dans la civilisation grecque et qui s’est intensifié à la suite des guerres du Péloponnèse. L’évidente relation de ces notes avec l’analyse du phénomène de la tyrannie que Burckhardt avait menée dans ses cours sur l’histoire de la civilisation grecque[16] ne nous intéresse pas ici, ce qui est plus intéressant est le fait que ces notes se concentrent sur les « guerres médiques [qui] sont à l’origine des tendances centralisatrices ». Ces guerres ont eu pour Nietzsche une issue fatale, parce qu’elles ont effacé toute tentative de « réforme » fondée sur le modèle de l’esprit de rivalité, visant à la création d’une pluralité de génies ou de « types de vie supérieurs »[17], favorisant au contraire une forme de civilisation fondée sur l’hégémonie spirituelle tyrannique de la seule Athènes. Elle tend à exclure et à réprimer uniformément toutes les forces qui ne se reconnaissent pas en elle et qui, dans leur variété, constituaient la richesse de la culture grecque :

35. Pindare n’eût pas été possible comme Athénien [...]. Et pas davantage Empédocle ni Héraclite. Presque tous les grands musiciens viennent de l’extérieur. La tragédie athénienne n’est pas la forme la plus haute qu’on puisse penser : ses héros manquent beaucoup trop de l’élément pindarique. (NF-1875,6[27])

36. Si l’on suit les étapes de la dialectique de la forme et de la pluralité dans les textes de cette période, on peut effectivement déterminer quelques moments décisifs de l’évolution qui conduit à l’aphorisme 221 de Choses humaines, trop humaines, dans lequel la convention remplace la physis comme fondement de l’art et de la culture (MA-221). Le renversement de perspective est éclatant. En 1873, Nietzsche suppose encore une antithèse entre une notion hellénistico-romaine et renaissante de l’art comme « noble convention », et la conception hellénique de l’art comme continuation de la nature, à l’intérieur de laquelle prend place la « lutte énorme de Goethe et Schiller » pour obtenir une unité de la culture allemande grâce à l’imposition d’un style ; il est d’ailleurs significatif qu’il mette en évidence la polémique d’un représentant des Lumières profrançais comme Kotzebue contre le « style allemand » de Goethe et de Schiller.

37. Choses humaines, trop humaines renverse cette structure : la tradition grecque passe par le conventionnalisme des tragédies classiques et de la dramaturgie de Voltaire, pour arriver enfin à l’expérience artistique et à la conception de l’art de Goethe dans sa dernière période. Toutefois, les réflexions de Nietzsche sur le « style allemand » de 1873 ne supposent pas du tout l’existence d’un patrimoine déjà disponible et elles décrivent la culture allemande comme une « culture en devenir ». La culture, comme chez Burckhardt, est non seulement séparée de l’État et des autres « puissances », mais elle est soustraite aussi à la tentation du déjà achevé et du déjà existant. À partir de cette argumentation, qui n’a pas un caractère contingent mais qui révèle un aspect essentiel (à côté de la dépendance de l’art) de la conception que Nietzsche a de la culture, celui-ci exprime l’inquiétude que suscite en lui la victoire prussienne sur la France – victoire qui peut « détruire le fruit qui mûrissait secrètement » (NF-1872,13[314]).

38. Dans la première Considération inactuelle et dans les fragments posthumes de cette époque, un passage des Conversations d’Eckermann est évoqué – il s’agit d’un passage sur la « barbarie » des Allemands –, pour souligner le caractère dynamique du processus de la culture, mais également le fait que l’imposition du style dépend d’une initiative géniale. De fait, le caractère de physis attribué à l’art et à la culture coïncide avec le dressage stylistique que le génie impose au manque de forme de la barbarie, de telle sorte que le rôle qui revient à la donnée « naturelle » est vraiment dans l’ombre, pour ne pas dire insignifiant, par rapport à la dynamique constructive qui dépend de l’initiative du génie. La symbiose qui existe entre la perspective aristocratique-géniale et le caractère dynamique et constructif de la culture est encore plus évidente dans les nombreuses notes du printemps et de l’été 1873, où l’analogie Grèce-Allemagne est fondée exclusivement sur la participation commune à la catégorie du devenir[18], et non pas sur des affinités linguistiques ou raciales présumées. Le fragment 29[121] de 1873 (NF-1873,29[121]) parle d’une culture « organique », résultat auquel l’Allemagne doit aspirer en prenant la Grèce pour modèle ; malgré sa saveur naturaliste, le terme signifie : intégrer en une parfaite unité de style ce qui est différent à l’origine, comme c’est arrivé avec l’assimilation de l’élément asiatico-oriental par les Grecs. Un peu plus tôt, Nietzsche avait établi qu’on ne pouvait parler d’unité préétablie dans le sens de la race (« Race-Deutsche »), pas plus à propos des Grecs qu’à propos des Allemands, mais qu’au contraire « le principe allemand comme qualité du style artistique reste encore à inventer, de même que le style artistique grec n’a été trouvé que tardivement : avant cela, il n’y avait pas d’unité, mais bien une terrible krasis (un mélange) » (NF-1873,29[47]). En outre, dans ce fragment, le refus d’une unité originelle et naturelle ne fait qu’un avec la perspective aristocratique-géniale :

39. la maudite âme des peuples! Quand nous parlons de l’esprit allemand, nous pensons aux grands esprits allemands, Luther, Goethe, Schiller et quelques autres, non au spectre mythologique de la masse coalisée des têtes creuses [...]. (NF-1873,29[47])

40. La perspective d’une reconduction de la krasis à l’unité de style, grâce à l’initiative géniale, culmine avec le parallèle entre le soldat prussien et Goethe, qui sont tous deux des hommes stylisés, chez qui l’acquisition de la forme a une dimension clairement anti-naturaliste :

41. Mon point de départ, c’est le soldat prussien : ici, il y a une véritable convention, ici il y a contrainte, sérieux, discipline, également en ce qui concerne la forme. Elle est née du besoin. Certes bien éloignée du « simple » et du « naturel » ! Sa position envers l’histoire est empirique et donc vivante et pleine de confiance, sans érudition. Elle est, pour certaines personnes, presque mythique. Elle procède de la discipline du corps et de la fidélité la plus scrupuleuse à son devoir.

42. Goethe, ensuite, est exemplaire : le fougueux naturalisme, qui se transforme progressivement en une plus stricte dignité. Comme figure stylisée, il est arrivé plus haut que n’importe quel Allemand. On est aujourd’hui assez borné pour lui en faire reproche et même pour l’accuser d’avoir vieilli. Qu’on lise donc Eckermann, et qu’on se demande si on a jamais vu, en Allemagne, un homme se fondre à ce point dans une forme noble. Il y a encore de là un grand pas à faire pour arriver à la simplicité et à la grandeur, mais nous ne devrions pas croire pouvoir passer par-dessus Goethe : il nous faut au contraire, comme lui, toujours recommencer du début. (NF-1873,29[119])

43. Certes, comme le montre l’observation finale, à cette époque la convention est encore associée à une fonction subordonnée, comme un pas préliminaire sur la voie qui mène à l’unité de la culture[19]. Nous sommes encore très loin de la déclaration du printemps et de l’été 1877, selon laquelle « la forme est toujours convention ou contrainte » (NF-1877,22[67]), et dans laquelle l’éloignement à l’égard de tout naturalisme ou de tout fondement métaphysique est renforcé par la considération que la forme est toujours l’expression d’un symbolisme, et que ce dernier est lié de façon nécessaire à la naissance ou au déclin d’une période historique de la civilisation. Le concept de tradition prend alors une signification tout à fait nouvelle ; il n’est plus compris comme le reflet ou la reconquête d’une forme originaire et totalisante, mais comme une capacité d’assimilation de la diversité guidée par un choix conscient : procédure qui, dans Choses humaines, trop humaines, prend le nom de « comparaison [Vergleichung] » et caractérise de manière spécifique l’avantage de l’époque moderne. Cela n’empêche pas cependant qu’à l’automne 1873, la polémique de Nietzsche contre l’idéologie romantique de la spontanéité et du fondement originel, soit désormais sans équivoque et s’insère dans une tendance croissante de sa pensée à intellectualiser les données et les formes de l’expérience (c’est là qu’il faut chercher la véritable raison de l’esprit des Lumières de Choses humaines, trop humaines).

44. L’affirmation du printemps et de l’été 1875, suivant laquelle « la négation de la volonté n’est plus si facilement accessible » (NF-1875,5[26]) – parce que les saints d’aujourd’hui devraient se mesurer, contrairement à ceux d’autrefois, avec les complications intellectuelles et avec le savoir –, n’est pas seulement une prise de distance ironique vis-à-vis de l’idéologie de la sainteté chez Schopenhauer (et chez Wagner), mais une critique nietzschéenne très précoce de la « volonté », qui remonte au fond aux toutes premières lectures de Schopenhauer par Nietzsche : celui-ci voit dans le terme de « volonté » la tentative illégitime de substituer à l’explication de phénomènes complexes et hétérogènes, le recours à un fondement métaphysique. La critique du fondement métaphysique n’est qu’un aspect de la tendance de Nietzsche – présente, bien que souterraine, dès l’époque de la métaphysique d’artiste – à interpréter les formes de l’expérience comme sédimentations de constructions et de choix intellectuels, et donc de transférer sur la dynamique de la culture ce que l’on a l’habitude d’attribuer à des dispositions naturelles. En 1872-1873, se référant au darwinisme, Nietzsche confirme que les « instincts » sont le résultat de « processus continus pendant très longtemps » et que « même la volonté est un résultat ultime d’extrême complication dans la nature ». Dans l’opposition entre « simple » et « compliqué » qui implique tous les types de phénomènes (« Même le choc mécanique est quelque chose de compliqué »), il faut voir en définitive le début du travail de généalogiste accompli par Nietzsche.

45. Dans certaines notes de la fin de l’année 1876 et de l’été 1877[20], les termes « instinct » et « volonté de vivre » sont vus de nouveau comme le résultat d’un processus mythologique, qui pallie par des mots l’ignorance d’un mécanisme inconnu. Ainsi, tout le domaine de l’expérience est décrit comme s’il était traversé par des processus intellectuels ; cependant, la critique de la métaphysique et l’intellectualisation de l’expérience ont à présent pour objectif la démolition des suppositions de la métaphysique d’artiste. Compassion, génie, inspiration sont soumis à une analyse qui, comme on peut le lire dans le fragment 23[12] (NF-1876,23[12]), nie l’existence de « faits originels », y compris dans la polarité élémentaire du plaisir et de la douleur, et qui découvre partout les traces de procédures intellectuelles passées. Nietzsche reprend également le thème du style dans son élucidation d’une mythologie de la nature :

46. La position d’Épicure relativement au style est typique à bien des égards. Il croyait revenir à la nature parce qu’il écrivait comme les idées lui venaient [...]. La « nature » à laquelle il atteignait était l’instinct du style inculqué par l’habitude. On appelle cela un naturalisme ; on tend l’arc un peu plus mollement, et l’on a par exemple Wagner dans ses rapports avec la musique, avec le chant. Les stoïciens et Rousseau sont naturalistes dans le même sens : c’est la mythologie de la nature ! (NF-1876,23[7])

47. La tendance à montrer la genèse intellectuelle de l’expérience « naturelle » débouche enfin sur une affirmation de la suprématie du savoir ; elle est introduite par l’intermédiaire d’une citation de Goethe qui sera reprise dans l’aphorisme 265 de Choses humaines, trop humaines, à laquelle un fragment de 1876-1877 donne explicitement la valeur stratégique de maxime finale : « En conclusion : la raison avecla science, force suprême de l’homme ! » (NF-1876,23[86]).

48. Ainsi, dans ces fragments, donc avant Choses humaines, trop humaines, la figure de Goethe est déjà évoquée comme l’emblème du rapport problématique de l’art avec la modernité. La préférence pour le poème épique, comme genre susceptible d’exprimer la prédominance moderne de la réflexion, apparaît largement dans l’image de Goethe comme génie de la culture, qui sait tempérer l’archaïsme du langage artistique par l’ouverture à l’exercice intellectuel et à la science. En effet, si l’art nous permet d’accéder, de par sa nature conservatrice, au passé – il est donc un « moyen pour se rappeler » – ou bien de faire refléter dans le présent épuisé les derniers rayons du soleil qui réchauffait les époques anciennes, comme dans l’aphorisme 223 (MA-223), l’art est placé aussi, dans l’aphorisme 222 (MA-222), dans l’horizon d’une évolution continue de l’esprit. « L’homme de science est le développement ultérieur de l’homme artiste » dans la mesure où l’art invite à considérer avec plaisir toute forme d’existence et à interpréter la vie « comme un morceau de nature, sans se laisser trop transporter », et cette attitude même revient ensuite au grand jour à l’époque moderne, « comme besoin irrésistible de connaissance ». La forme même de la modernité, comme présence simultanée de mentalités appartenant à des époques différentes, qui peuvent refléter le sommet du développement ou bien la survivance du passé, est la condition d’une perméabilité possible entre le langage de l’art et celui de la science, qui est confiée au génie de la culture. Avant de lui attribuer la capacité de réactiver la mémoire des formes anciennes (et nous verrons sous quelle acception), comme il le fera dans l’aphorisme 221(MA-221), Nietzsche fait de Goethe une figure qui synthétise les différentes époques historiques dans les phases de sa propre existence :

49. Même dans les nations très évoluées, on trouve des gens vivant parallèlement et simultanément aux niveaux de civilisation les plus différents. En Allemagne et en Suisse [...] on peut y remonter plusieurs siècles en arrière et y parler à des hommes de cette époque. Bien mieux, l’individu extrêmement évolué (comme Goethe) vit par anticipation de grands espaces de temps, des siècles entiers dans les diverses phases de sa nature. (NF-1876,23[100])

50. Le génie de la culture vit simultanément selon des styles d’existence différents – c’est cette simultanéité qui, selon Burckhardt, constitue l’avantage inestimable de l’homme moderne, y compris par rapport à la grandeur des Anciens. Choses humaines, trop humaines parle à son tour de l’avantage offert par les « époques de la comparaison [Vergleichung] », durant lesquelles le passé, en qualité de résidu ou de couche géologique qui émerge à nouveau et refait surface, s’offre en comparaison avec le présent, nous permettant ainsi de devenir des « juges » qui choisissent les meilleures formes de vie en en évaluant bien les avantages et les désavantages. Le thème des juges montre que la sensibilité automnale qui domine dans bien des pages de Choses humaines, trop humaines (comme celles de l’aphorisme 223 que nous venons de rappeler), ne prend jamais un ton d’épigone, mais qu’elle est liée à une volonté de forme et de hiérarchie qui entend remodeler la pluralité du moderne, sans toutefois la forcer.

51. Dans l’aphorisme 276 (MA-276), on retrouve, renforcé, dans le concept de culture le caractère de pluralité que la première Considération inactuelle lui avait déjà donné. Culture signifie « obliger à la concorde les puissances [Mächte] opposées entre elles, grâce à une coalition hégémonique des autres puissances moins incompatibles, sans toutefois les opprimer et les enchaîner ». La coexistence des puissances multiples et opposées – qui dans l’aphorisme 281 (MA-281) est présentée comme une caractéristique de la culture « supérieure », et que Nietzsche décrit, pour cette raison, « à plusieurs cordes [vielsaitig] » et comme quelque chose qui demande « force et ductilité », apparaît aussi comme une conciliation entre les éléments opposés de l’art et de la science. Dans l’aphorisme 631 (MA-631), grâce à l’évocation du Torquato Tasso de Goethe, cette coexistence devient l’intégration nécessaire et souhaitée entre l’esprit sceptique, scientifique et réaliste d’Antonio et la nature « ennemie de la science, passive » du Tasse ; Nietzsche évoque l’esprit de renonciation, d’adieu mélancolique au bonheur et à la plénitude d’une époque poétique archaïque – donc irrécupérable – qui anime le drame de Goethe. Ici, de façon implicite, la tonalité fondamentale de Choses humaines, trop humaines se traduit dans le double visage de l’Entsagung goethéenne qui est sentiment de déclin rempli de nostalgie, mais aussi capacité réaliste de s’autocontrôler et de prendre congé d’un impossible retour à l’âge d’or.

52. En tout cas, il est certain que Nietzsche tient compte du Goethe qu’Emerson présentait comme un « philosophe de la multiplicité » et comme le « type de la culture, l’amateur de tous les arts, de toutes les sciences et de tous les événements »[21], qui accepte et qui sait élaborer le prosaïsme moderne. Emerson voit en Goethe un « Argus aux cent yeux », expression utilisée dans l’aphorisme 223 de Choses humaines, trop humaines, intitulé Où il faut aller en voyage, pour désigner la possibilité d’un énorme élargissement de l’ego, la capacité de revivre ou d’assimiler des expériences et des époques disparates.

53. Il faut cependant se demander s’il n’existe pas une connexion encore plus étroite entre les deux caractéristiques que Choses humaines, trop humaines attribue à Goethe, la suprématie de la science d’un côté, et de l’autre la reviviscence des anciennes formes artistiques dont parle l’aphorisme 221. La forme de pluralité que Nietzsche voit comme partie constitutive de l’« édifice de la culture » prévoit une osmose systématique entre l’archaïque et le moderne, qui s’exprime à la fin dans l’hypothèse du « cerveau double » de l’aphorisme 251 (MA-251). En l’absence d’un processus d’osmose qui permettrait à l’homme de penser de manière critique, mais aussi de jouir du plaisir que l’art lui a procuré, l’aphorisme prévoit la rechute dans la barbarie. Cette inquiétude s’insère dans un contexte plus vaste, qui concerne les modalités de développement et les possibilités de décadence de la culture moderne.

54. La question principale, thématisée dans l’aphorisme 22 (MA-22) par exemple, est de savoir si l’époque critique peut assurer aux institutions la même solidité et la même durée qu’elles avaient lorsqu’elles s’appuyaient sur des fondements religieux et métaphysiques, c’est-à-dire dans une situation que la métaphysique d’artiste avait essayé d’imiter par une restauration du mythe.

55. Choses humaines, trop humaines souhaite une progression continue de la culture, sans secousses ni retour de la barbarie, un processus dans lequel les éléments innovateurs doivent être « inoculés » avec prudence à des doses contrôlées[22], pour permettre l’institution d’une tradition qui ne serait pas interrompue par de violentes fractures.

56. L’aphorisme 221 du Voyageur et son ombre parle de « continuer l’œuvre des Lumières pour elle-même, et d’étouffer en germe la Révolution, après coup, de faire qu’elle n’ait pas été », et pour Nietzsche, le thème à l’ordre du jour est effectivement celui d’une tradition ouverte à l’innovation mais privée de révolutions, qui sont liées à la mythologie de la nature déjà attribuée à Rousseau par l’Inactuelle sur Schopenhauer. L’homme de Rousseau qui est célébré comme l’un des « types » fondamentaux conçus par l’âge moderne, est dominé par le culte de la « sainte nature ». Dans sa « haine » contre le caractère non naturel et corrompu de la civilisation moderne, de même que dans son aspiration à rétablir une essence humaine naturelle, il n’est certes pas difficile de saisir l’allusion de Nietzsche à l’idée maîtresse qui traverse les apports théoriques de Wagner, de l’Œuvre d’art de l’avenir à Opéra et drame. Mais l’option contemplative par laquelle Faust se détache de Rousseau et qui, dans Schopenhauer éducateur, est l’indice le plus éclatant du dépassement de la métaphysique d’artiste, prend dans Choses humaines, trop humaines et dans les notes de cette période un ton nettement plus spinoziste. La conviction que les comportements et les styles de vie sont le résultat d’actes intellectuels sédimentés n’implique pas seulement une mutation de type contemplatif des affections en connaissances, mais aussi une augmentation du pouvoir et du contrôle dans le domaine de la passion. Même l’observation que « les méthodes scientifiques délivrent le monde du grand pathos » rentre dans une thérapie des passions qui s’inscrit dans le modèle spinoziste, et la révision de la hiérarchie des genres poétiques et de la supériorité de la tragédie est déterminée par son caractère « pathologique », par le fait que la tragédie utilise la passion comme donnée naturelle, qu’elle la soustrait aux processus par lesquels elle est modifiée et absorbée dans les processus culturels.

57. L’aphorisme de Choses humaines, trop humaines qui voit les moments les plus significatifs de l’héritage littéraire grec dans la tragédie classique, dans la dramaturgie de Voltaire et enfin dans la conception de l’art du dernier Goethe[23], renverse complètement – comme nous l’avons déjà remarqué – la position exprimée durant la période de La naissance de la tragédie, lorsque le style allemand s’opposait à la déformation hellénistique et romaine, puis à celle des Lumières, de l’héritage grec. L’œuvre de Goethe apparaît comme un exercice de la mémoire et une revisitation des anciennes formes : « Vivre dans l’art fut ainsi pour lui vivre dans le souvenir de l’art vrai : son activité créatrice était devenue un moyen de soutenir la réminiscence, la compréhension de périodes anciennes de l’art depuis longtemps disparues » (MA-221). En même temps Goethe affaiblit les contenus de l’art, il leur enlève tout caractère d’originalité, d’immédiateté et de naturel, et les fait valoir uniquement en fonction de leur importance formelle, les réduisant presque à de pures fonctions de conservation de la tradition artistique :

58. les manières actuelles de sentir et les problèmes de la société contemporaine réduits aux formes les plus simples, dépouillés de leurs qualités pathologiques de séduction et de passion, privés de toute possibilité d’agir sinon dans le sens artistique ; pas de sujets, de caractères nouveaux, mais les anciens, depuis longtemps familiers, sans cesse ranimés par un effort constant de renouvellement et de métamorphose : voilà l’art tel que Goethe le comprenait sur le tard, tel que les Grecs, que les Français aussi le pratiquaient.

59. Dans un essai de 1915-1916, Ernst Bertram n’avait pas manqué de souligner l’importance de cet aphorisme comme document de l’idée nietzschéenne de la convention et du style et, dans une page d’une rare sensibilité interprétative, il inscrivait l’aphorisme dans une « sphère de bonheur précoce, de sagesse, de symbolisme de la vieillesse » qui provenait pour Nietzsche de la fréquentation de Burckhardt[24]. Il faut ajouter à cette observation que cette partie de l’aphorisme n’est qu’une variation autour d’un passage de la Kultur der Renaissance sur le Roland furieux. D’un poète de la qualité de l’Arioste, affirme Burckhardt,

60. ... on aurait désiré quelque chose d’autre que les aventures de Roland ou de ses semblables. On aurait voulu qu’il ait représenté dans un grand ouvrage les plus grands conflits du cœur humain, qu’il ait reproduit les idées les plus dignes de son temps sur toute chose humaine et divine [...] Il procède, au contraire, comme les artistes plastiques de son époque et il atteint l’immortalité en faisant abstraction de l’originalité au sens moderne, travaillant ultérieurement sur un groupe de figures connues, se servant, toutes les fois qu’elles lui servent, de leurs détails traditionnels. [...] Il faut qu’il puisse renouer les fils rompus et oubliés : ses figures doivent être telles qu’elles puissent apparaître et disparaître avec la même facilité, non pas parce que l’essence profonde de leur personnalité le demande, mais parce que le poème le veut[25].

61. L’idée de l’art comme somme de conventions est désormais la prémisse de l’affinité essentielle que Nietzsche voit entre Goethe et les Grecs. L’aphorisme 122 du Voyageur et son ombre, intitulé La Convention artistique (WS-122), déclare que « Les trois quarts d’Homère sont de la convention, et il en va de même pour tous les artistes grecs, qu’aucun motif ne poussait à cette fureur moderne d’originalité ». Bien plus, la familiarité avec les règles, que le public partage avec l’artiste, est la condition même d’une civilisation artistique fondée sur l’Eris, sur la compétition, puisque le jugement que le public doit émettre pour l’assignation de la suprématie se fonde sur une connaissance complète des instruments de l’art. L’aphorisme ne fait que perfectionner un thème que Nietzsche avait abordé pour la première fois en 1871-1872, dans un groupe de fragments consacrés à l’agôn et à l’individu agonal dans la civilisation grecque. Avec à l’arrière-plan l’idée darwinienne de la lutte pour l’existence, Nietzsche présente l’agôn comme une idéalisation ou une sublimation de la compétition naturelle, qui libère les énergies de l’individualité et qui, en même temps, les discipline en un univers régulier et ordonné. Le problème de la joute est celui du transfert de la volonté – entendue comme force aveugle qui est intérieurement divisée et qui se dévore elle-même, « plantant ses dents dans sa propre chair » selon l’expression de Schopenhauer – en « instincts plus nobles ».

62. C’est donc le problème de l’origine de la culture, et Nietzsche reconnaît les deux exigences les plus fortes de sublimation, d’une part dans l’idéalisation de la lutte qui a lieu dans la joute entre les artistes (et qui présuppose justement l’existence d’un « public qui convient », composé de gens qui connaissent bien les instruments de l’art), et d’autre part dans la « transfiguration de la compétition » proposée par Héraclite, avec l’image du monde comme jeu (NF-1871,16[17]) – Héraclite se présentant ainsi comme le philosophe qui, par excellence, incarne la capacité de la nature grecque à « utiliser des propriétés horribles » (NF-1871,16[18]).

63. Si l’on tient compte de ce contexte ainsi que du contexte antérieur des notes sur l’esprit de compétition de 1871-1872, et si l’on tient compte surtout du fait que ces dernières proposent un contraste implicite – mais qui n’en est pas moins clair pour autant – entre une culture fondée sur le mythe et sur l’exclusivité du génie artistique d’un côté, et de l’autre une culture qui s’exprime dans la joute et présuppose une pluralité de génies en lutte pour la suprématie, il apparaîtra nettement que l’aphorisme du Voyageur et son ombre suggère un rapport de l’artiste avec le public qui est exactement antithétique de celui imaginé dans la métaphysique d’artiste, où le génie transporte le public dans une fascination onirique qui lui fait oublier le monde présent.

64. Malgré des corrections ultérieures, des enrichissements, des changements de perspective, Goethe garde fermement, aux yeux de Nietzsche, sa fonction d’anti-Wagner, comme en témoigne par exemple un fragment du début de 1888 intitulé Pour une critique de Wagner : « La musique de Wagner est antigoethéenne. En fait, Goethe manque dans la musique allemande comme il manque dans la politique allemande » (NF-1888,15[12]).

[1]Voir la lettre de Burckhardt à Preen du 3 octobre 1872, où il commente un article de Rosenkranz sur le même thème : Jacob Burckhardt, Briefe, éd. Max Burckhardt, vol. V (1868-75), Bâle/Stuttgart, Schwabe, 1963, p. 156.
[2]Voir la transcription de la dernière version du cours, avec les variantes des versions de 1869 et de 1871 dans Jacob Burckhardt : « L’epoca della rivoluzio », Maurizio Ghelardi (éd.), Studi storici, XXXVIII, 1997, fasc. 1, p. 46.
[3]Voir Nikolaus Peter, Im Schatten der Modernität. Franz Overbecks Weg zur „Christlichkeit der heutigen Theologi“, Stuttgart/Weimar 1992, Metzler, p. 154. La tentative de Peter d’interpréter la métaphysique d’artiste comme une « véritable théorie spéculative du mythe », me semble pleinement réussie, à condition de se rappeler que la théorie est, à son tour, construite sur une variation (wagnérienne) sur le mythe prométhéen de l’artiste créateur.
[4]Voir Sandro Barbera, « „Ein Sinn und unzählige Hieroglyphen". Einige Motive von Nietzsches Auseinandersetzung mit Schopenhauer in der Basler Zeit », dans Tilman Borsche, Federico Gerratena et Aldo Venturelli (dir.), Centauren-Geburten. Wissenschaft, Kunst und Philosophie beim jungen Nietzsche, Berlin/New York, De Gruyter, 1994, p. 217-233.
[5]Jacob Taubes, „Entzauberung der Theologie: Zu einem Porträt Franz Overbecks“, dans Franz Overbeck, Selbstbekenntnisse, Francfort am Main, 1966, p. 16.
[6]Der Briefwechsel zwischen Schiller und Goethe, Emil Staiger (éd.), Francfort am Main, 1987, p. 375.
[7]Lettre de Schiller à Goethe, 20 octobre 1797, Der Briefwechsel zwischen Schiller und Goethe, op. cit., p. 488.
[8]Der Briefwechsel zwischen Schiller und Goethe, op. cit., p. 435.
[9]Johann Peter Eckermann, Gespräche mit Goethe in den letzen Jahren seines Lebens, Otto Schönberg (dir.), Stuttgart, 1998, p. 236.
[10]Lettre de Schiller à Goethe, 24 août 1798, Der Briefwechsel zwischen Schiller und Goethe, op. cit., p. 664.
[11]Voir par exemple le long fragment eKGWB/NF-1875,11[20].
[12]Voir Richard Wagner, Oper und Drama, Klaus Kropfinger (dir.), Stuttgart, 1984, p. 156 : « Goethe avec son sens pratique se réconcilia avec notre élément vital, il renonça à la forme d’art achevée [= la tragédie] et se consacra au contraire à perfectionner celle où cette vie pouvait s’exprimer d’une manière compréhensible. Schiller ne revint plus à un roman véritable... ».
[13]Nietzsche à Richard Wagner, 24. Mai 1875, eKGWB/BVN-1875,449. Voir eKGWB/NF-1873,27[69].
[15]Voir eKGWB/NF-1875,6[29] : « Que voulait Pisistrate en provoquant ces manifestations d’affliction ? »
[16]Il manque encore une analyse de la dette de Nietzsche envers la Griechische Kulturgeschichte de Burckhardt, une analyse qui devrait partir de toute façon de ce groupe de fragments. On peut, en attendant, voir les résultats auxquels parvient le travail très utile de Stefan Bauer, Polisbild und Demokratieverständnis in Jacob Burckhardts Griechische Kulturgeschichte, Bâle/Munich, 2001. Sur le rapport Nietzsche-Burckhardt, l’ouvrage d’Alfred von Martin, Nietzsche und Burckhardt. Zwei geistige Welten im Dialog, Munich, 1947 (4e édition) offre de nombreuses indications et des thèmes de réflexion.
[19]eKGWB/NF-1873,29[121] : « En Allemagne la peur de la convention est épidémique. Mais avant d’en arriver à un style national, une convention est nécessaire » (en italiques dans le texte).
[20]Manuscrit siglé MP XIV 1b (groupe de fragments numéro 23 dans l’édition Colli-Montinari : voir KSA 8, p. 404 sq.).
[21]Voir Ralph Waldo Emerson, « Goethe ou l’écrivain », Les représentants de l’humanité, Paris, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1863, p. 276.
[22]Voir l’aphorisme 224, eKGWB/MA-224. Le fragment 20 [11] de l’hiver 1876-1877 (eKGWB/NF-1876,20[11]) parle d’« inoculation » pour décrire la fonction de l’esprit libre qui introduit « la sève vivifiante » dans des institutions morales et politiques vouées autrement à la raideur et à la mort.
[23]Sur l’aphorisme 221, cf. Mazzino Montinari, Aufklärung und Revolution: Nietzsche und der späte Goethe“, dans Nietzsche lesen, Berlin/New York, De Gruyter, 1982, p. 56-63.
[24]Ernst Bertram, „Nietzsches Goethe“, dans Dichtung als Zeugnis. Frühe Bonner Studien zur Literatur, Ralph-Reiner Wuthenoow (dir.), Bonn, 1967, p. 257. L’essai de Bertram n’a pas pris une ride ; en plus de ce dernier, j’ai surtout tenu compte de Vivetta Vivarelli, „Goethe und der historische Sinn“, dans Tilman Borsche, Federico Gerratena et Aldo Venturelli (dir.), Centauren-Geburten. Wissenschaft, Kunst und Philosophie beim jungen Nietzsche, Berlin/New York, De Gruyter, 1994, p. 276-291 ; Renate Müller-Buck, „Heine oder Goethe? Zu Friedrich Nietzsches Auseinandersetzung mit der antisemitischen Literaturkritik der ‘Kunstwart’“, Nietzsche-Studien, XV, 1986, p. 265-288 ; Eckard Heftrich, „Nietzsches Goethe“, Nietzsches tragische Größe, Francfort am Main, 2000, p. 103-124.
[25]Jacob Burckhardt, Die Kultur der Renaissance in Italien. Ein Versuch, dans Gesammelte Werke, vol. III, Bâle/Stuttgart, 1978, p. 210-211.